Les mentions des péchés capitaux, du mensonge, des vices dans Une saison en enfer (partie 1/2)

Dans Une saison en enfer, Rimbaud mentionne les noms des sept péchés capitaux, ainsi que les noms des trois vertus théologales, mais cela se mélange à la mention d'autres vices ou  d'autres notions positives. 
J'en propose un relevé qui sera suivi d'une synthèse dont j'ai déjà une idée.

Les sept péchés capitaux sont l'orgueil, la gourmandise, la paresse ou acédie (négligence spirituelle), la luxure, l'avarice, la colère et l'envie.
Dans la prose liminaire, le poète cite deux des trois vertus théologales, mais il n'énumère pas les péchés capitaux. Ils sont seulement cités comme un tout dans un propos rapporté attribué à Satan : "Gagne la mort, avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."
Nous pouvons être tenté d'associer le pluriel "appétits" au péché de gourmandise, mais il convient d'opposer en réalité l'appétit pour le festin dont la clef serait la charité aux appétits démoniaques. Ce n'est peut-être pas très utile de vouloir à tout prix insister sur l'identification trop évidente des appétits au péché de gourmandise.
Plusieurs mots à valeur négative sont présents dans cette prose liminaire. je laisse de côté certains, par exemple "bourreaux" et "fléaux" qui sont ici des organes répressifs de  la justice desquels le poète se gausse, et je dresse du coup la liste suivante plus limitée : "amère", "injuriée", "sorcières", "misère", "haine", "étrangler", "bête féroce", "périssant", "mordre", "m'étouffer", "malheur", "l'air du crime", "bons tours", "folie", "affreux rire de l'idiot", "dernier couac !", "hyène", "démon", "aimables pavots", "Gagne la mort", "tous tes appétits", "égoïsme", "péchés capitaux", "cher Satan", "irritée", "lâchetés en retard ", "absence des facultés descriptives ou instructives" (comprendre que Satan encourage à la valorisation du désordre et de la confusion mentale), "hideux feuillets", "damné".
Parmi ces mots, je voudrais en souligner plus précisément certains.
Dans son édition critique de 1987 d'Une saison en  enfer, Pierre Brunel laisse entendre qu'une double lecture grammaticale est possible pour le passage : "O sorcières, ô misère, ô haine," mais c'est pour soutenir un rapprochement avec les trois sorcières de Macbeth. Malheureusement, le rapprochement n'est pas tenable, puisque le mot "sorcières" est au pluriel. Soit nous avons un groupe de sorcières et à côté la misère et la haine, soit nous avons deux sorcières qui sont misère et haine. Quelle que soit la lecture adaptée, la relation d'interdépendance des trois mots sera la même, et c'est là le principal. or, la haine est le contraire de l'amour et elle est une valeur associée à la "misère" et à la pratique de la sorcellerie. La  haine est le contraire de l 'amour et partant d'une des  trois  vertus  théologales, la charité.
Le trésor confié à la haine est clairement lié au cœur et à une inversion de la polarité amour-haine.
La mention "malheur", antonyme de "bonheur", est assimilée à une divinité à laquelle on rend un culte : "Le malheur a été mon dieu." Cette phrase aura une correspondance forte dans la section "Mauvais sang" avec  la phrase de début de septième section  : "L' ennui n'est plus mon amour." Phrase où nous retrouvons la mention "amour", antonyme de "haine". La phrase : "Le malheur a été mon dieu" fait écho au refus de la "Beauté" qui loin d'être vénérée ou adorée a été injuriée et elle reprend le sens de la phrase  : "Sur  toute  joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce."
Et j'en arrive à une série qu'il faut bien mettre en lumière, celle de la recherche de la mort.
Si le poète s'est "armé contre la justice", on pourrait croire que c'est pour éviter tout châtiment et toute  peine capitale. Et pourtant, il s'agit plutôt d'échapper à son action, et comme à la fin des quintils ajoutés à "L'Homme Juste", le poète annonçait un défi : "Ô Justes, nous chierons dans vos ventre de grès[,]" ici le poète va braver les périls et même solliciter d'être exécuter : "J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang." Il s'agit clairement d'appels à la mort dans des actions suicidaires. La descente en enfer s'est accompagnée d'un désir de mort et, à cette aune, le poison que le poète se félicite d'avoir absorbé au début de "Nuit de l'enfer" correspond bien à cette phase initiale de volonté infernale du poète. La séquence du "dernier couac" me semble bien du coup se confondre avec "Nuit de l'enfer". C'est après "Nuit de l'enfer" que le poète ta x e son expérience infernale de "délire s " et en distribue deux bilans "Vierge folle" et "Alchimie du verbe". La section "L'Impossible" correspond à la recherche d'une solution, et on  peut dès lors juger qu'il y a un écho voulu entre l'alinéa de rejet brusque de l'inspiration de la charité comme clef et la fin ironique de "L'Impossible" qui déclare que c'est une "Déchirante infortune" d'aller nécessairement "à Dieu", "Par l'esprit".
Avec le choix de l'expression métaphorique "dernier couac !" il est clair que la mort correspond à un ultime débordement, l'empoisonnement de "Nuit de l'enfer" est ce qui y correspond dans l'ensemble du récit, et c'est précisément le centre du livre avec un écho de titre de section à titre de l'ouvrage entier.
L'idée d'affronter ou non la mort est centrale dans le récit, et finalement, la démarche de sortie de l'enfer de Rimbaud est paradoxalement similaire à l'idée de rédemption spécifiée par la religion récusée. En refusant la mort, le poète échapperait quelque peu à l'enfer. Cela sera toutefois sensible dans les dernières sections de l'ouvrage. Face à Satan, le poète se prétend toujours un "damné".
Mais j'en arrive à la dernière mention de la mort comme valeur négative mentionnée dans la prose liminaire.
Le poète avait pris une voie satanique par ses actes et tout d'un coup, reculant devant la mort, il manifeste un regret du festin ancien. Il n'éprouve pas d'appétit pourtant, mais il met en balance son état présent et l'état ancien confusément assimilé à un souvenir. Une "inspiration" non pas divine, mais débile, lui souffle que la "charité" permet de renouer avec le "festin", ce que le poète récuse immédiatement. C'est bien ce qu'il lui semblait, le festin n'était pas un souvenir réel, mais bien un rêve.
Le mensonge ne fait pas partie des péchés capitaux, et s'il sera célébré parmi eux  dans "Mauvais sang", c'est ici un mensonge chrétien qui est dénoncé par le poète. L'inspiration de la charité venait tout de même pour permettre au poète d'échapper à la mort, et jusqu'à un certain point le poète ne peut nier l'inversion sollicitée quant à son comportement, il faut renoncer à la "haine" pour renouer avec la charité de tous les cœurs ouverts entre eux, à la concorde du festin. Il s'agissait d'une aide qui allait dans le sens du refus du "dernier couac !" Satan intervient ensuite pour au contraire encourager le poète au "dernier couac !" et il lui tient un discours de duper en inversant l'idée de perte de la vie en gain : "Gagne la mort", expression qui ne se limite pas à l'idée d'une rive à atteindre : "parviens jusqu'à la mort", comme le glose Pierre Brunel dans son édition critique de 1987 et dans les notes de son édition de 1998-1999 au Livre de poche. La mort est le prix lui-même, comme cela était sous-entendu dans la phrase : "J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils".
Pierre Brunel et même la majorité des commentateurs soutiennent que les "pavots" posent une réelle difficulté de lecture, et Brunel pense que des "appétits" ne se mangent pas, donc il faudrait chercher ailleurs dans le texte à quoi ils correspondent, et même si Molino a contesté un aspect de la lecture de Brunel il a suivi cette idée que les "pavots" étaient des illusions à chercher ailleurs dans le récit. Non, les "aimables pavots", ce sont les propos de Satan eux-mêmes. L'incise : "se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots" est très précisément au milieu des propos rapportés de Satan. Le premier pavot, c'est "Tu resteras hyène", Rimbaud a aimé être la bête féroce qui étrangle toute joie.Le "etc." crée un effet de liste. Le "pavot" est une plante du sommeil et un poison. L'expression "Gagne la mort" est on ne peut plus clairement un mensonge endormeur et un poison pour le coup bien mortel.
Mais, dans les péchés capitaux, c'est ses propres mensonges qui peuvent importer au poète, pas ceux de l'inspiration chrétienne ou de Satan.
Les mensonges des autres, Rimbaud entend en rire.
Cela prendra du sens quand nous citerons la fin de "Adieu".
Avant d'en finir avec les mentions de valeurs négatives dans la prose liminaire, je souhaitais revenir sur l'enchaînement des phrases : "Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime." J'aurais pu rallonger ma citation en amont, puisque si le poète se plonge ainsi dans la boue c'est un peu une façon de s'étouffer comme avec le sable ou le sang. Telle quelle, la phrase sur l'allongement dans la boue exprime la déchéance de soi. Cependant, elle est reliée à la phrase qui suit, puisqu'une fois dans la boue le poète va inévitablement sécher. En effet, les actions décrites au sixième alinéa correspondent à une énumération. Nous avons six phrases en tout, et les deux phrases que je mets en relation sont la quatrième et la cinquième du paragraphe. Autrement dit, lecteurs, est-ce que spontanément vous dissociez les deux phrases ou bien est-ce que vous leur faites un statut à part au sein du paragraphe en les reliant entre elles ? Je cite l'alinéa en question :
   J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.
La troisième phrase : "Le malheur a été mon dieu", concise, peut résumer une idée essentielle des deux phrases qui la précèdent comme la même idée essentielle pour les deux phrases qui la suivent et que nous étudions maintenant. En dynamique de récit, nous ne sommes pas dans une énumération sur six phrases et la troisième phrase résume une idée clef des deux premières phrases et cela permet la réorientation avec deux phrases sur la détérioration directe de soi. Dans son édition critique,  Brunel commente ainsi nos deux phrases (page 196), et je fais des coupes sèches dans la citation uniquement pour éviter d'expliquer tous les plans de l'analyse en question :
   [...] [I]l révère le malheur [...] Sa conduite d'agressivité première se retourne contre lui-même à tel point qu'il se croit agressé par d'autres.
    Mais il y a là un jeu d'apparences, et un nouveau renversement est toujours possible, ou du moins considéré comme tel. Un redressement est déjà sensible dans le sixième alinéa : le damné se place dans la position du mort, - jeté à terre par les bourreaux, étouffé par les fléaux, allongé dans la boue -, mais il se défend avec le crime[...]
Je relève plusieurs contresens manifestes dans la lecture à thèse de Brunel d'un poète bourreau virant à la victime. Le poète ne se croit pas agressé, il agresse avec la volonté de mourir, c'est la lettre du texte. Ensuite, Brunel met en parallèle l'idée d'être jeté à terre, le fait d'être étouffé et l'allongement dans la boue, sauf que le poète ne dit pas avoir été jeté à terre par les bourreaux, il se contente de se décrire accroché à leurs fusils qu'il mord, et, de toute façon, c'est lui-même qui s'est couché par terre : "Je me suis allongé dans la boue." Si c'était le résultat de son combat face aux bourreaux, la phrase aurait été tournée autrement... Et puis, il y a cette idée de se défendre avec le crime qui m'interpelle. Ce n'est pas non plus ce que dit le texte et en prime la formule de Rimbaud a déjà été convoquée en tant que calembour de dupe : "l'air du crime" veut dire "faire semblant d'être un criminel", ce qui anticipe sur les "bons tours" joués "à la folie". Mais ce n'est pas tout. Il y a un autre sens possible pour "l'air du crime" et ce n'est toujours pas le sens de se défendre contre les bourreaux par une allure de criminel. Le poète a laissé sécher la boue sur lui dans une atmosphère de crime, ce qui ne fait pas pour autant du poète un criminel et ce qui fait que le jeu de mots est possible, puisque l'écart n'est pas résolument contradictoire entre les deux sens : "séché à l'atmosphère du crime" et "séché avec l'apparence du crime".
Je ne dirai rien ici des "bons tours à la folie", ni de "l'affreux rire de l'idiot" face au printemps. Cela fera l'objet de commentaires ultérieurs. Je peux seulement préciser que "l'affreux rire de l'idiot" s'explique en tant qu'inadéquation entre la figure symbolique de la nature au printemps et l'état dépravé du poète qui s'écartant de la société amère s'est aussi éloigné de la Nature. Le coeur de la prose liminaire, c'est clairement la vie comme mensonge.
Prenons la partie finale "Adieu" divisée en deux sections. La mention d'un éloignement face à ceux qui "meurent sur les saisons" figure à la fin d'un premier alinéa très bref, et Rimbaud a lui-même dit dans la prose liminaire qu'il a failli mourir en une saison infernale. Ses feuillets racontent une saison vécue en enfer avec évitement de justesse du "dernier couac !" Il y a une liaison voulue entre le premier alinéa de "Adieu" et la prose liminaire. La "barque", moyen de transport du folklore infernal, se tourne précisément vers "le port de la misère", autre écho sensible avec le fait que le poète a confié en partie à la misère son "trésor". C'est un nouvel écho sensible entre la prose liminaire et "Adieu". Dans la description se glisse une sorte de vision inversée du festin "où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient" : "Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié !" Et cela se double d'une inversion sacrilège dans la représentation du martyre du Christ.
Les italiques "et qui seront jugés" rappelle la menace de la "justice" contre laquelle le poète s'est armé dans la prose liminaire et dont il voulait "se garder" dans "Mauvais sang". Et loin de célébrer la vie : "ma vie était un festin", le poète évoque donc avec "le pain trempé de pluie" un festin de gueux qui sont autant de cadavres aussi bien en tant que corps qu'en tant qu'âmes : "Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés !"  Nous sommes dans le  spectacle des "gens qui meurent sur les saisons" et l'automne inscrit la courbe de l'épreuve et du deuil, le poète disant dans l e bref alinéa suivant redouter l'hiver comme saison où le confort importe.
Le poète se revoit dans la compagnie des damnés du "port de la misère" et se  rappelle qu'il a frôlé le "dernier couac !" : "J'aurais pu y mourir..."
La première moitié de la première section de "Adieu" fait nettement écho aux premiers alinéas de la prose liminaire.
Le poète décrit ce à quoi il a échappé de justesse en ne persévérant pas dans l'injonction satanique de lutte à mort.
La deuxième partie de cette section initiale de "Adieu" est construite en miroir de la première. Il s'agit d'une dénonciation du péché d'orgueil du poète dans ses prétentions à créer autant qu'il veut et à faire advenir le nouveau. On voit nettement les échos sensibles avec le discours tenu dans "Alchimie du verbe", mais aussi dans plusieurs poèmes des Illuminations  : "Conte", "Génie", "Vies", "A une Raison", "J'ai tendu des cordes...", "Matinée d'ivresse", etc.
Il va de soi que le "grand vaisseau d'or" s'oppose à la barque et que les "blanches nations en joie" font contraste aux "millions d'âmes et de corps morts" du "port de la misère".  On a une opposition entre une réalité pas décrite de manière réaliste mais poussée à la vision saisissante et l'utopie régénératrice que le poète se croyait en mesure de posséder.
Entre l'enfer de la misère et le ciel où se déploie le vaisseau et son monde paradisiaque, le poète est rendu à la surface de la Terre, son lieu de Purgatoire (il échappe ici à l'enfer, donc l'expression a un emploi justifié). Le poète n'est pas "dispensé de toute morale", il a "un devoir à chercher" et il doit accepter le monde tel qu'il est "la réalité rugueuse à étreindre". Finalement, c'est un paysan, il va devoir trouver sa main.
Les trois derniers alinéas appelleront un commentaire ultérieur, mais à propos de la question : "la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?" il faut remarquer que d'une part cela fait écho à ce qui a déjà été dit en juin 1871 dans le poème "Les Soeurs de charité" et la liaison entre la charité et l'acceptation de la mort existe aussi dans la littérature d'édification chrétienne  autour de 1873. En tout cas, nouvel écho sensible avec la prose liminaire, puisque la charité comme inspiration devait permettre au poète d'échapper à la mort et voilà qu'elle se confond avec elle et donc devient non pas la solution au "dernier couac !" mais un équivalent.
Le poète ne répond pas à la question toutefois.
Enfin, même si le commentaire est reporté à plus tard, je souligne quand même les thèmes en présence de la "main amie" et du "mensonge". Le poète dit qu'il s'est "nourri de mensonge". Le mensonge n'est pas un péché capital, mais il peut découler des appétits et du péché de "gourmandise" comme l'atteste la forme verbale "nourri". Il s'agit cette fois de demander pardon, c'est plus fort que de saluer la beauté. Il est bien question de faire profil bas. Mais, l'amitié et le mensonge sont des mentions clefs qui terminent la première section de "Adieu" et qui vont aussi terminer la deuxième section et donc clore le livre dans son ensemble.
Prenons cette section finale et même directement les dernières phrases du livre  : le dernier alinéa reprend "main amie" dans une allusion explicite à la formule finale de la première section, puis il contient les mentions adjectivales "mensongères" et "menteurs" avant de céder la place à l'antonyme "vérité" :
   [...]
   Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons.
   Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

   [...]
   Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Dans cette comparaison des deux fins des sections de "Adieu", les soulignements sont miens. En clair, outre le refus de la mort dans un arbitrage entre Satan et la religion, l'enjeu d'Une saison en enfer est clairement un combat pour la vérité contre les illusions et les duperies. L'importance conférée à ces mots est limpide et claire. Le fait de ne pas trouver une "main amie" et de se moquer des autres permet de montrer que la fin du récit ne correspond pas à un retour à la morale chrétienne. Le poète prend ses distances. Ce qui importe, c'est le rapport à la vérité. Et il y a ici un effet d'ironie dans la mesure où le christianisme se prétend une vérité qui n'a rien à craindre de la science.  Rimbaud épingle cette prétention dans "L'Impossible" et j'ai repéré des textes contemporains d'Une saison en enfer que Rimbaud aurait pu lire au moment de composer son livre, et ils formulent de manière similaire à Rimbaud la quête de vérité. Je les citerai dans d'autres études à venir. Je me contente ici de placer les balises et de montrer de la manière la plus évidente qui soit que le poète cherche une vérité qui ne soit ni celle des églises, ni la duperie de Satan, ni un errement d'orgueil. Et je ne veux pas extrapoler avec Bruno Claisse, Alain Vaillant, Pierre Brunel et Mario Richter sur un rejet du dualisme. Il ne faut pas confondre les plans d'analyse.  Le poète rejette les mensonges de Dieu et ceux de l'abandon à la damnation, ce sont deux faces d'une même pièce si on pense à la phrase de Rimbaud sur le baptême qui n'atteint pas les païens, mais Rimbaud ne s'attaque pas de manière théorique au dualisme et il n'est pas dans un outillage conceptuel, d'ailleurs parfaitement vain et trompeur, d'un discours moniste sincèrement opposable au dualisme. Les catégories dualistes, elles s'imposent à nous, Rimbaud fait avec, puisqu'il écrit comme l'église "dans une âme et un corps". Rimbaud ne cherche pas une "vérité" qui transcende la séparation de l'âme et du corps. Où seraient les phrases explicitant ce débat dans le récit d'Une saison en enfer ? Il s'en moque de ce problème trivial et philosophique, notre Rimbaud. Libre à vous d'habiter dans votre monisme aussi antichrétien qu'il vous le faille. La subtilité perfide de Rimbaud à la fin d'Une saison en enfer c'est de faire entendre que lui au moins se donne une chance d'atteindre la vérité et il parle comme un chrétien convaincu mais sur un plan de détachement d'un damné qui sort de l'enfer, mais qui sent encore le soufre  et qui n'est pas pressé de pratiquer l'amitié et donc la charité... C'est plutôt ça le mot de la fin.
Je reviendrai sur le commentaire à donner à l'ensemble de la partie finale "Adieu". Je n'ajoute qu'une considération de circonstance qui rejoint l'idée de relation de bouclage entre prose liminaire et fin du livre. Le poète va rire des mensonges et se flatte en italique de pouvoir atteindre à la vérité. Or, dans "Adieu", nous avons une expression en italique "et qui seront jugés" qui renvoie à l'idée de "justice" de la prose liminaire et qui suppose en principe un combat contre le mensonge. Rimbaud déplace un peu les lignes du jugement. A "qui  seront jugés" de la première section réplique la formule de la deuxième section : "La vision de la justice est le plaisir de dieu seul." Et partant de là le poète réduit donc sa repentance à une demande de pardon pour le mensonge, alors même que dans son sentiment de solitude il va rire de n'entendre que des menteurs autour de lui.
Je reviendrai sur "l'enfer des femmes là-bas", mais j 'ai déjà commenté son lien avec le péché de luxure dans un article tout récent (septembre 2023) de mon blog "Enluminures (painted plates)", voilà pour les impatients.
Il est temps de traiter des mentions des vices dans la section "Mauvais sang".
Une transition m'est offerte. Quand on lit "Mauvais sang", on écarte le sens de personne qui se  fait du "mauvais sang", le titre "Mauvais sang" retourne l'idée des gens nobles qui ont du "bon sang" et comme l'a déjà écrit Pierre Laforgue en 2009 dans un article d'un volume rennois  dirigé par Murphy en vue de l'Agrégation de Lettres Modernes 2010, Rimbaud retourne l'expression "Bon sang ne peut mentir". Et vous comprenez le parti à en tirer. La première section s'intitule "Mauvais sang" et le mot "mensonge"  et ses assimilés adjectivaux reviennent avec insistance dans les positions clefs de la partie finale "Adieu" pour permettre une conclusion sur le mot "vérité".
Et, dans "Mauvais sang", le "mensonge" est célébré au milieu de quelques mentions de péchés capitaux dès le troisième alinéa.
Alors, vous êtes prêts pour la deuxième partie de notre étude ?

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