Deuxième article, reprise d'une pubication du site "Enluminures (Painted plates) : la prose liminaire
Reprise de l'article "Une page de présentation idéale de la prose liminaire d'Une saison en enfer pour un éditeur" mis en ligne le vendredi 23 février 2018 sur mon blog rimbaldien "Enluminures (painted plates)". Il s'agit d'une paraphrase qui montre que sont dominées les prétendues difficultés posées par le texte.
La prose
liminaire du livre Une saison en enfer
À la différence de l’ « Avertissement » des Déserts de l’amour, la prose liminaire
sans titre qui lance, tel un prologue, le livre Une saison en enfer fait partie intégrante de la fiction. Le poète,
qu’il faut considérer ici en tant que personnage plutôt qu’auteur, livre en
quelque sorte la raison qui a présidé à l’assemblage des
« feuillets » formant le corps du récit. Il faut s’imaginer cette ouverture
comme la dernière composition du livre, elle a une valeur rétrospective et se
ponctue par un envoi à Satan. Le poète dresse un bilan, ce qu’appuie la
dominante du recours au passé composé. Un contrepoint oppose le passé lointain
d’un bonheur initial, décrit dans le premier alinéa, à la damnation des six
alinéas suivants, en impliquant une réflexion sur la valeur de la vie et ce
qu’il est permis d’en attendre. Bien que la joie de départ ait été envisagée
comme enivrante, elle supposait une concorde entre les êtres qui, nous allons le
voir, n’allait pas de soi, et surtout elle est d’emblée réduite à un souvenir
incertain, autrement dit suspectée d’être un leurre. Le basculement s’opère au
second alinéa quand le poète s’attaque à la valeur suprême de ce monde
idyllique. Pour lui, « la Beauté », allégorie résumant la triade Beau
= Bon = Vrai dans une société d’obédience chrétienne, n’est pas à la hauteur
d’un rapport érotique authentique et libéré. Il se dresse alors contre les valeurs
civiques et religieuses de l’ordre social, et exprime une révolte qui atteint
rapidement un paroxysme. Le trésor qu’il a confié aux sorcières n’est autre que
sa vie même qu’il a soustraite à l’univers du festin : « ma
vie » = « mon trésor ». Nous assistons à une inversion des
valeurs : appel à la « haine » et à la « misère »
contre l’amour et l’abondance de biens, rejet des vertus théologales
(espérance, charité) ou cardinales (justice), transformation en « bête
féroce » opposable à la civilisation, célébration du « malheur »
contre « Dieu » et contre une idée de
« bonheur établi », désir de mort. Le défi prend une tournure
plus fine, quand il s’agit non de se livrer au crime et à la folie, mais d’en
interroger la perception, les limites troubles. Les souffrances de cette vie de
révolte remontant jusqu’aux approches du présent correspondent à l’expérience
de la saison infernale. L’avènement du « printemps », saison d’espoir
et de renouveau, ne guérit pas le poète, mais le fait renchérir dans l’esprit
de dérision. En revanche, le sentiment d’imminence de la mort, lors d’un
événement présenté comme récent, a provoqué un réveil du poète qui a décidé de
reconsidérer l’importance de la vie. Cela a donné l’occasion d’une réévaluation
de la situation initiale, mais le rejet est immédiat de la valeur placée au
fondement de cet état de grâce. Le poète récuse sans appel la notion de charité
chrétienne et découvre ainsi que le bonheur initial ne fut qu’une illusion
versée sur lui avec le catéchisme et les eaux du baptême. Malgré ce rejet du
sentiment chrétien, Satan exprime sa colère et essaie une dernière ruse. Son
impératif « Gagne la mort » doit se lire comme l’inversion de la
formule « perds la vie » et un mensonge sur la hiérarchie des valeurs
entre vie et révolte. Le poète identifie parfaitement l’endormissement de sa
conscience, il évoque la couronne de pavots, mais sa réponse se montre
sournoise à l’égard de son maître, puisqu’il le traite avec désinvolture et
ironie. Faussement soumis, il lui dédie une suite de feuillets qui, s’ils
forment le récit croustillant de la vie d’un damné, se révèleront le
cheminement d’un poète qui parvient à en finir avec l’enfer sans revenir à Dieu
pour autant. Ce manque de franchise a une conséquence pour le lecteur, puisque
celui-ci apprécie un projet précis, mais ignore avec Satan qu’une solution est
à l’œuvre dans les feuillets qu’il va lire et qui ne sont pourtant présentés
que comme un amusement sans queue ni tête pour se faire pardonner des
réticences à s’abandonner au Mal.
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